Pourquoi et comment reprendre dans nos classes, par le biais du conte, les méthodes éducatives des sociétés de tradition exclusivement orale ?
A la suite de l’hypothèse de Suzy Platiel des expériences ont été menées dans des classes, autour du conte, sous une forme qui se rapproche le plus possible des méthodes éducatives de ces sociétés : il s’agit de faire écouter régulièrement des contes et d’inciter les élèves à raconter à leur tour un conte de leur choix. Si la plupart de ces expériences ont eu lieu en Guyane celles qui ont été menées dans l’hexagone montrent que les résultats sont tout aussi bénéfiques. Elles concernent plusieurs dizaines de classes de la maternelle à la sixième.
Comment?
Les élèves écoutent d’abord de nombreux contes sans qu’il y ait d’exploitation pédagogique immédiate. Ces contes sont dits par les enseignants ou des adultes extérieurs à la classe, parents d’élèves, artistes qui racontent dans la langue qu’ils souhaitent. Il peut arriver que ce soit un élève qui conte car certains d’entre eux ont des compétences cachées et possèdent un corpus de contes entendus chez eux. Si le conte n’est pas dit en français un travail autour de la traduction orale en français pourra être fait.
Tous les élèves sont incités à un moment ou un autre à raconter à leur tour un conte parmi ceux qu’ils ont entendus ou qu’ils ont trouvés eux-mêmes. C’est dans ce phénomène de réappropriation qui nécessite la compréhension que vont se développer leurs compétences.
Quels constats?
Les constats, encore empiriques par manque d’étude scientifique, montrent que le premier effet est de développer l’écoute et la concentration. Toutes les classes qui participent à de tels projets se sont apaisées car les élèves ont appris à s’écouter mutuellement et à se respecter.
Le second effet est de réconcilier avec l’école de nombreux élèves décrocheurs ou en difficultés: on peut remarquer en particulier que ceux qui sont en échec à l’écrit trouvent une motivation nouvelle pour les apprentissages.
Les effets les plus importants concernent les acquisitions des élèves : en premier lieu au niveau de la maîtrise de la langue, avec l’enrichissement du vocabulaire, la maîtrise du récit distingué des paroles , de la grammaire de la phrase et du texte, des rapports logiques : cause / conséquence, temporalité, but. Les professeurs des classes concernées constatent des progrès dans toutes les disciplines, y compris pour certains en mathématique. Car c’est aussi au niveau du développement des compétences cognitives que se situent les effets bénéfiques de cet outil d’éducation qu’est le conte.
On constate qu’un nombre non négligeable des élèves est passé à la lecture et à l’écrit : la rivalité entre eux pour trouver un « bon conte » à raconter à leur classe les pousse à chercher dans les livres et le fait de savoir raconter un conte à l’oral leur permet d’acquérir cette compréhension qui fait d’eux des lecteurs « compreneurs » : ils ont acquis par l’oral cette faculté indispensable au bon lecteur qui parait si difficile à faire acquérir aux élèves. Ils savent anticiper, connaissent intuitivement la structure du récit, la reprise pronominale et l’emploi des temps. Cette maîtrise de l’oral structuré est pour beaucoup dans leurs progrès en lecture.
Il serait souhaitable de favoriser la recherche sur des expériences avec un tel protocole, assez simple au demeurant : faire écouter beaucoup de contes et amener les élèves à raconter à leur tour, oralement d’abord, un conte de leur choix.
Nicole Launey Mai 2012
Professeur agrégé de Lettres Classiques retraitée